Samstag, 28. November 2009

La douce révolte des rêveurs de l'Audimax de Vienne, par Joëlle Stolz LE MONDE | 27.11.09 | 13h37 • Mis à jour le 27.11.09 | 13h37

"Soyons réalistes, demandons l'impossible" : ce vieux slogan de Mai 68 plane sur le grand amphithéâtre de l'université de Vienne, l'Audimax, quartier général d'une douce révolte, atypique et utopique, qui s'insurge contre la misère en milieu étudiant, mais reflète aussi la difficile mutation de l'Etat-providence en Autriche et en Allemagne. Né par surprise, le 22 octobre, le mouvement "audimaxiste" a déjoué les pronostics de tous ceux qui annonçaient sa mort imminente. Il a suscité des occupations symboliques de bâtiments universitaires en Autriche et dans une vingtaine d'universités allemandes. Même la Suisse alémanique, depuis Bâle, ou la Californienne Berkeley ont exprimé leur "solidarité".

L'un des aspects marquants de cette nébuleuse est en effet la présence en Autriche d'étudiants allemands (ils forment 10 % des 220 000 inscrits), qui n'ont pu trouver une place dans la filière de leur choix en Allemagne à cause du numerus clausus, et donnent d'emblée au mouvement un caractère transnational. Le cri de ralliement est "Freie Bildung", qui signifie à la fois "éducation gratuite" et "éducation libre". C'est le rêve d'un enseignement financé par l'Etat, mais soumis aux seuls impératifs de la connaissance et de la curiosité personnelle, non aux lois implacables de l'économie telle que la planifient les technocrates.

"Etre formaté pour le marché du travail a détruit ma vie", peut-on lire sur une banderole accrochée de guingois sous le porche néoclassique de l'Académie des beaux-arts de Vienne. Des milliers de jeunes renâclent à entrer dans les cases qu'on leur prépare, conscients que la génération de leurs parents a mangé le pain blanc de la croissance, et qu'ils devront, eux, endurer jusqu'à 70 ans des emplois souvent peu gratifiants et mal payés.

Malgré la présence épisodique de petits noyaux d'extrême gauche, ce n'est pas l'image de Che Guevara qui est à l'honneur chez les "audimaxistes", plutôt celle du poète rebelle Friedrich Schiller, né le 10 novembre 1759. Ou le linguiste prussien Wilhelm von Humboldt, symbole d'une quête scientifique aux antipodes de la "macdonaldisation" du savoir. On est très loin aussi de la violence transgressive du happening des "actionnistes viennois", qui avaient provoqué le scandale, en juin 1968, en se masturbant et en déféquant dans le sein de l'alma mater. Chercheurs, syndicalistes, écrivains ont poussé la porte du grand amphi pour participer aux débats organisés par ces étudiants qui vont aux cours mais font des heures supplémentaires dans le foyer de la contestation.

"Vous êtes le vrai Parlement !", s'est écrié l'essayiste autrichien Robert Menasse, surpris par des assemblées générales où le respect scrupuleux de la parole d'autrui pèse autant, sinon plus, que le contenu des interventions. Lorsqu'il a reçu, le 25 novembre, une délégation d'"audimaxistes", le ministre autrichien de l'enseignement supérieur, Johannes Hahn, a vu arriver trois étudiants grimés et costumés de façon à rester anonymes : "Trois parmi beaucoup", annonçaient leurs T-shirts. Les spécialistes de la communication admirent la dextérité avec laquelle les protestataires ont compensé leur faiblesse numérique grâce aux réseaux sociaux sur Internet ou aux retransmissions en direct des amphis.

Le malaise est particulièrement aigu en Autriche, troisième économie la plus prospère au sein de l'Union européenne, mais où le financement public des universités a reculé depuis 2000. Le pays compte seulement 18 % de diplômés de l'enseignement supérieur, moitié moins qu'en Finlande. Les protestataires constatent que la coalition gouvernementale entre conservateurs et sociaux-démocrates a trouvé bien plus d'argent pour protéger les banques que pour les étudiants.

La crise a aussi mis en lumière le mauvais "rapport qualité-prix" de l'enseignement dans la sphère germanique, comparé aux pays libéraux comme les Etats-Unis, et à la tradition égalitariste de l'Europe du Nord. Selon Hans Pechar, directeur de l'Institut pour la communication scientifique de l'université de Klagenfurt, les "Etats-providence conservateurs", tels que l'Allemagne et l'Autriche, ont des difficultés à ouvrir leur système éducatif. "Le message est : cordonnier, reste le nez sur ton établi, puisque notre haut niveau de prestations sociales te garantit une vie confortable", assure-t-il.

Car ce débat s'inscrit dans une remise en cause de l'Etat-providence, à l'ère des déficits budgétaires et de la "société du savoir". En proposant, fin octobre, de créer un fonds afin de rendre plus lisibles les transferts sociaux - qui reçoit quelles prestations ? qui paie quels impôts ? -, le ministre autrichien des finances, le conservateur Erwin Pröll, a suscité une tempête chez ses alliés sociaux-démocrates, qui craignent que cela n'attise l'"envie" entre les classes.

En Allemagne, les remous gagnent la sphère philosophique : défenseurs de l'Etat-providence comme idéal moral, les tenants de l'influente Ecole de Francfort, Axel Honneth en tête, ont tiré l'épée contre Peter Sloterdijk, accusé de fournir un paravent intellectuel à l'arrogance des riches. Le mouvement "audimaxiste" montre que la polémique est loin d'être close.

(www.lemonde.fr)

1 Kommentar:

  1. Erwin Pröll als Finanzminister, na des wär was, habe die Ehre...

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